43

 

Lorsque le sénateur Larimer se réveilla sur le siège arrière de la limousine, le ciel se teintait d’orange. Il chassa le moustique qui avait interrompu son sommeil. Moran bougea dans son coin, les yeux vagues, toujours inconscient. La portière s’ouvrit brusquement et un ballot de vêtements atterrit sur les genoux de l’Américain.

« Mettez ça, lui ordonna Souvorov qui s’exprimait sans accent.

— Vous ne m’avez toujours pas dit qui vous étiez, fit Larimer d’une voix pâteuse.

— Je m’appelle Paul.

— Paul comment ?

— Juste Paul.

— F.B.I. ?

— Non.

— C.I.A. ?

— Peu importe, répondit le Russe. Habillez-vous.

— Quand arriverons-nous à Washington ?

— Bientôt, mentit Souvorov.

— Où avez-vous trouvé ces vêtements ? Comment savez-vous qu’ils m’iront ? »

Les questions de l’Américain commençaient à énerver l’homme du K.G.B. II refréna son envie de l’assommer avec la crosse de son pistolet.

« Je les ai volés sur une corde à linge, répondit-il enfin. Ce n’est pas le moment de vous montrer difficile. Au moins, ils sont propres.

— Je ne porterai jamais les habits d’un inconnu, protesta le sénateur avec indignation.

— Si vous tenez à débarquer tout nu à Washington, après tout c’est votre affaire. »

Souvorov claqua la portière et alla s’installer au volant.

Ils repartirent. La circulation matinale devenait plus dense. Ils traversèrent le pont enjambant l’Ashley et se dirigèrent vers le nord par l’autoroute.

Larimer, au grand soulagement du Russe, demeurait silencieux tandis que Moran, émergeant de son état comateux, murmurait des paroles inintelligibles. Un panneau annonça : AÉROPORT, PROCHAINE SORTIE. Souvorov emprunta la bretelle et arriva bientôt devant l’aéroport municipal de Charleston. Une rangée de chasseurs de la Garde nationale étincelait dans l’aube naissante.

Suivant les indications qui lui avaient été données par téléphone, l’agent du K.G.B. contourna l’aérodrome jusqu’à un petit chemin de terre. Il s’arrêta près d’un poteau soutenant une manche à air qui pendait, immobile dans l’atmosphère lourde et humide.

Il descendit de voiture, regarda sa montre et attendit. Deux minutes plus tard, il distingua le bruit d’un hélicoptère approchant derrière un rideau d’arbres. Les feux de navigation apparurent et l’appareil, une forme élancée bleu et blanc, vint se poser à côté de la limousine.

Le pilote, un homme en combinaison blanche, sauta au sol et s’avança vers la Cadillac.

« Vous êtes Souvorov ? demanda-t-il.

— Oui.

— Bien, chargeons les colis avant d’attirer l’attention. »

Ils installèrent Moran et Larimer dans la cabine réservée aux passagers. Le Russe remarqua ces mots frappés sur le fuselage : AMBULANCES SUMTER.

« Cet engin va nous amener jusqu’à la capitale ? demanda Larimer, ayant retrouvé un peu de son arrogance.

- Il vous amènera où vous le désirez », répondit obligeamment le pilote.

L’agent du K.G.B. s’assit dans le siège du copilote et boucla son harnais.

« On ne m’a pas précisé notre destination.

— La Russie, fit le pilote sans le moindre humour. Mais d’abord nous devons découvrir d’où vous venez.

— D’où je viens ?

— J’ai ordre de vous faire survoler la région jusqu’à ce que vous ayez repéré l’endroit où ces deux rigolos et vous avez passé ces huit derniers jours. Ensuite, je dois vous conduire ailleurs.

— Bien, fit Souvorov. Je vais faire de mon mieux. »

Le pilote ne dit pas son nom et le Russe ne le lui demanda pas. C’était certainement l’une des quelques cinq mille « taupes » éparpillées à travers le pays et rétribuées par l’Union soviétique, des experts en tous les domaines, qui attendaient un appel pour se manifester, appel qui parfois ne venait jamais.

L’hélicoptère s’éleva puis vira vers la baie de Charleston.

« Quelle direction ? demanda le pilote.

— Je ne sais pas. Il faisait nuit et j’étais perdu.

— Vous n’avez aucun repère ?

— A environ huit kilomètres de Charleston, j’ai traversé un fleuve.

— C’était où ?

— A l’ouest, je crois. Oui, à l’ouest. Le jour se levait devant moi.

— Ce doit être le Stono.

— Oui, c’est bien ça. »

Le soleil maintenant était apparu au-dessus de l’horizon et tentait de dissiper la brume estivale qui recouvrait la ville. L’hélicoptère grimpa à 900 pieds et prit au sud-ouest, survolant la route que Souvorov avait empruntée. Au milieu des forêts de pins apparaissaient ça et là quelques cultures. Ils passèrent au-dessus d’un paysan travaillant dans un champ de tabac qui agita son chapeau pour les saluer.

« Vous vous retrouvez ? » demanda le pilote.

Le Russe secoua désespérément la tête :

« Le chemin pourrait être n’importe où.

— Dans quelle direction étiez-vous quand vous avez croisé la route ?

— J’ai tourné à gauche. Je devais donc venir du sud.

— Cette région s’appelle Wadmalaw Island. On va décrire des cercles. Vous me direz si vous voyez quelque chose. »

Une heure s’écoula, puis deux. Le sol était un enchevêtrement de ruisseaux et de rivières surgissant des marais. Tous les chemins se ressemblaient. Souvorov avait l’esprit de plus en plus confus et le pilote finit par perdre patience.

« II va falloir abandonner les recherches, déclara-t-il. Sinon je n’aurai plus assez de carburant pour regagner Savannah.

— Savannah est dans l’Etat de Géorgie, fit le Russe comme s’il récitait une leçon apprise par cour.

— Bravo, vous avez gagné, le félicita le pilote avec un sourire moqueur.

— Notre base de départ pour l’Union soviétique ?

— Seulement un stop pour faire le plein. »

Puis il se tut.

L’agent du K.G.B., constatant qu’il ne parviendrait pas à lui soutirer la moindre information, reporta son attention sur le paysage.

Soudain, il tendit le bras avec excitation au-dessus du tableau de bord.

« Là ! s’écria-t-il. Le petit croisement sur la gauche.

— Vous le reconnaissez ?

— Je crois. Descendez un peu. Je voudrais examiner cette ruine au coin. »

Le pilote s’exécuta et amena l’appareil au-dessus du carrefour.

« C’est ça ? demanda-t-il. Une ancienne station-service ?

— On approche, fit Souvorov. Longez la route qui se dirige vers ce fleuve au nord.

— Le canal côtier.

— Un canal ?

— Oui. Une étroite voie navigable qui descend du nord de la côte atlantique vers la Floride et le golfe du Mexique. Utilisée surtout par les petits bateaux de plaisance. »

L’hélicoptère frôlait la cime des arbres, faisant ployer les branches sous le souffle de ses pales. Le chemin se terminait brusquement devant une rivière marécageuse. Le Russe avait les yeux fixés devant lui à travers le pare-brise.

« Le laboratoire. Il doit être par là.

— Je ne vois rien, constata le pilote en faisant virer l’appareil pour examiner le sol.

— Posez-vous ! demanda nerveusement Souvorov. Là, dans cette clairière à une centaine de mètres du chemin. »

Le pilote obéit et posa l’hélicoptère dans la terre grasse, soulevant un tourbillon de feuilles mortes. Il laissa le moteur tourner au ralenti et ouvrit la porte. Le Russe sauta au sol et se précipita vers le chemin. Après quelques minutes de recherches frénétiques, il s’arrêta au bord de la rivière et regarda autour de lui avec exaspération.

« Que se passe-t-il ? demanda le pilote en le rejoignant.

— Il n’est pas là, fit Souvorov incrédule. Un entrepôt avec un ascenseur descendant au laboratoire. Il a disparu.

— Les bâtiments ne s’évanouissent pas en six heures. (Le pilote commençait à en avoir assez.) Vous avez dû vous tromper d’endroit.

— Non. Je suis sûr que c’est ce chemin-là.

— Je ne vois que des arbres et des marais. Et juste cette vieille péniche aménagée ancrée sur l’autre rive.

— Un bateau ! s’écria le Russe comme s’il venait d’avoir une révélation. C’était sûrement un bateau. »

Le pilote contempla un instant les eaux boueuses de la rivière.

« Il n’y a pas plus d’un mètre de fond. Impossible d’amener ici un bateau de la taille d’un hangar depuis le canal. »

L’agent du K.G.B. semblait désorienté. « Il faut continuer à chercher, persista-t-il.

— Désolé, répliqua fermement le pilote. Mais nous n’avons plus le temps. Il faut partir tout de suite, sinon nous allons être en retard. »

Sans attendre, il se retourna et se dirigea vers l’appareil. Souvorov, lentement, s’ébranla derrière lui, l’air abattu.

Tandis que l’hélicoptère s’élevait au-dessus des arbres pour se diriger vers Savannah, le rideau d’un hublot de la péniche s’écartait sur un vieux Chinois braquant des jumelles 11 x 80.

Il déchiffra le numéro d’identification inscrit sur le fuselage de l’appareil, reposa ses jumelles, fit un numéro sur un téléphone portatif à brouilleur incorporé et prononça quelques phrases dans un chinois rapide.

 

Panique à la Maison-Blanche
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